Mémoires de Joseph Fouché, Duc d'Otrante
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Je m'impose une tâche grande et forte en m'offrant de nouveau à toute la
sévérité d'une investigation publique, mais c'est pour moi un devoir de
chercher à détruire les préventions de l'esprit de parti et les impressions de la
haine. Du reste, j'ai peu d'espoir que la voix de la raison puisse se faire
entendre au milieu des clameurs de deux factions acharnées qui divisent le
monde politique.
N'importe, ce n'est pas pour le temps d'aujourd'hui que je
raconte, c'est pour un temps plus calme. A présent, que ma destinée
s'accomplisse! Et quelle destinée, grand Dieu! Que me reste-t-il de tant de
grandeurs et d'un si énorme pouvoir, dont je n'abusai jamais que pour éviter
de plus grands maux? Ce que je prise le moins, ce que j'amassai pour d'autres,
me reste: à moi, qui, par mes goûts simples, eût pu me passer de richesses, à
moi qui n'apportai dans les splendeurs que la réserve d'un sage et la sobriété
d'un anachorète! Tour-à-tour puissant, redouté ou dans la disgrâce, je
recherchai l'autorité, il est vrai, mais je détestai l'oppression. Que de services
n'ai-je pas rendus! que de larmes n'ai-je pas séchées! Osez le nier, vous tous
dont je réussis à me concilier les suffrages malgré de fâcheux antécédens?
N'étais-je pas devenu votre protecteur, votre appui contre vos propres
ressentimens, contre les passions si impétueuses du chef de l'État? J'avoue
que jamais police ne fut plus absolue que celle dont j'avais le sceptre, mais ne
disiez-vous pas qu'il n'y en eût jamais de plus protectrice sous un
gouvernement militaire? de plus ennemie de la violence, qui pénétrât par des
moyens plus doux dans le secret des familles, et dont l'action moins sentie se
laissât moins apercevoir? Ne disiez-vous pas alors que le duc d'Otrante était,
sans aucun doute, le plus habile et le plus supportable des ministres de
Napoléon? Vous tenez à présent un autre langage, par la seule raison que les
temps sont changés.
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